Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

david engels - Page 5

  • Quête de l’Infini et inquiétude européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la tentation faustienne de l'Europe...

     

    jean montalte, spengler, david engels, faust, anaxagore, chesterton, prométhée

    Quête de l’Infini et inquiétude européenne

    Anaxagore, au Ve siècle avant notre ère, a résolu en ces termes, et par avance, le principe de raison suffisante, énoncé par Leibniz (pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien ?) : « Quel est le but qui vaudrait que l’on choisît de naître plutôt que de ne pas exister ? Spéculer sur le ciel et sur l’ordre du cosmos entier. » Être ou ne pas être, interrogeait Shakespeare. Anaxagore répond : être, pour contempler les astres, les étoiles, la voûte céleste, et s’en repaître comme d’un breuvage aussi succulent qu’intarissable. « Les esprits dignes de contempler les choses profondes conçoivent pour l’illimité une confiance sans limite », lui rétorque Goethe par-dessus les siècles, puisque l’univers s’est ouvert aux dimensions de l’Infini, révolution scientifique dont Alexandre Koyré avait tiré les conséquences dans un ouvrage de synthèse fameux.

    J’ai la passion des chimères. Mon vœu le plus cher serait de vivre dans un château vaste comme le monde, à l’instar des Gormenghast. J’ai l’appétit cosmique propre à ma race. Inquiétude métaphysique, soif de dépassement, voilà les traits constitutifs de tout Européen bien né. Cette quête de l’ailleurs, je tente parfois d’en dompter la démesure, tant elle peut briser l’âme qui s’y livre sans retenue. Je me paie alors une cure de banalité. J’essaie de trouver dans la proximité des choses et des êtres la poésie invisible qui y est recelée, comme l’œuf de la colombe mystique dans sa coquille cernée de boue, en attente du troisième règne selon Joachim de Flore, celui du Saint-Esprit. Voyez l’ampleur de mes divagations… Chesterton, alors, se présente comme un antidote salvateur : « C’est une chose de raconter une entrevue avec une gorgone ou un griffon, une créature qui n’existe pas. C’en est une autre de découvrir que le rhinocéros existe bel et bien et de se réjouir de constater qu’il a l’air d’un animal qui n’existerait pas. » Si je peux me passer de ces créatures sorties de l’imaginaire européen, il m’est sans doute plus difficile de ne pas jeter un regard théorique sur l’Univers, de temps à autre, pour éprouver ce vertige du cosmos qui a le don de conjurer les forces entropiques menaçant mon cerveau du ratatinage.

    La pulsion faustienne

    David Engels, dans son dernier livre Défendre l’Europe civilisationnelle, sous-titré Petit traité d’hespérialisme (Salvator, 2024), qualifie l’esprit européen de faustien, dans la lignée de Spengler. Tantôt, ce trait idiosyncrasique se traduit dans une soif spirituelle portée vers la transcendance divine, tantôt cette même quête de dépassement s’abîme dans le règne du matérialisme, de la marchandise, de la croissance illimitée et de la technique. Selon David Engels, parmi toutes les explications qui tentent de rendre compte du déclin des grandes civilisations, la raison profonde qui mérite de retenir notre attention est la suivante : l’abandon graduel de la transcendance pour la matière.

    David Engels écrit : « Pour moi, l’Europe proprement dite commence après la fin des grandes migrations avec la restitution impériale de Charlemagne, avec la recréation de l’Église chrétienne en Occident, avec ce grand projet de restitution impériale. C’est cela le véritable début d’une Europe que je définis dans son identité profonde surtout de manière psychologique. Pour moi, le mot-clef, c’est ce que l’on appelle la “pulsion faustienne”, c’est-à-dire cette volonté typiquement européenne de vouloir être en quête : en quête de quelque chose qui est derrière l’horizon ; en quête de quelque chose qu’on ne peut jamais vraiment atteindre ; en quête d’une transcendance, d’une vérité qui est juste derrière l’horizon. Et donc la quête d’une envergure assez monumentale, démesurée, je crois que la démesure, en bien comme en mal, est quelque chose d’assez typiquement européen. (…) La splendeur intérieure de la cathédrale gothique et la démesure inhumaine du gratte-ciel sont tous les deux des expressions d’un même archétype typiquement européen. » Jean-François Mattéi constatait, dans une veine similaire, que « l’Europe ne se comprend elle-même que dans un mouvement qui l’emporte irrésistiblement au-delà d’elle-même ». Mais ce mouvement, sur le modèle du périple odysséen n’exclut pas un retour à l’Île d’origine.

    Cette articulation de la dimension spirituelle ou psychologique et de la dimension technicienne a le mérite de rappeler à une droite prométhéenne, dont je mesure les qualités au demeurant, que, sans un horizon de sens, nous sommes voués à nous enliser toujours plus profondément dans le nihilisme, nihilisme dont les dommages ne peuvent être résorbés par les prouesses techniques, aussi indispensables fussent-elles pour développer notre puissance sur la scène internationale.

    Au Purgatoire ?

    L’erreur symétrique de l’antimoderne ou de l’archéo-primitiviste n’est pas moins nocive pour autant. Certes, la science et ses dérives ne doivent être passées sous silence, encore moins les folies prométhéennes dont l’Européen doit en grande partie son déclin. Jean-François Mattéi écrit dans Le Sens de la démesure : « Le vingtième siècle aura été le siècle de la démesure. Aucune époque ne saurait lui être comparée, aussi loin que notre mémoire remonte. Démesure de la politique, tout d’abord, avec deux guerres mondiales et des conflits régionaux permanents, des déportations et des tortures de masse, des camps de la mort déclinés en allemand et en russe, et, pour culminer dans l’horreur, deux bombes atomiques larguées sur des populations civiles. Démesure de l’homme, ensuite, puisque tous ces crimes ont été commis en son nom, qu’il soit nazi, communiste ou démocrate, ou plutôt au nom d’idéologies abstraites qui, pour mieux sauver l’humanité, ont sacrifié sans remords les hommes réels. Démesure du monde, enfin, avec une science prométhéenne qui a voulu percer les secrets de l’univers, une technique déchaînée qui a cherché à asservir la nature, et une économie mondialisée, sous le double visage du capitalisme et du socialisme, dont les flux incessants d’échanges ont privilégié le prix des choses au détriment de la dignité des hommes. Telle est la démesure revendiquée du progrès, nouveau Moloch auquel il fallait à tout prix sacrifier. » Il semble qu’après la lecture de ces lignes, la messe soit dite. Et pourtant, se rallier aux thèses technophobes, en émules de Theodore Kaczynski – je cite ce nom parce qu’il n’est pas si rare de le voir pris comme exemple –, ce serait signer l’arrêt de mort de l’Europe puissance.

    Une tentation anarcho-primitiviste, qui lorgnerait sur une barbarie originelle telle qu’elle fut fantasmée par un Robert E. Howard, par exemple, l’auteur de Conan le Barbare serait une catastrophe pour l’homme européen et diminuerait d’autant ses forces, tant intellectuelles que matérielles. Ce serait réduire l’homme européen hautement civilisé à l’ombre de lui-même, tout comme « les consécutions des bêtes ne sont que l’ombre d’un raisonnement », pour citer Leibniz.

    Dans un entretien donné à Paris en 1997, un journaliste qui demande à Maurice G. Dantec si, devant la révolution numérique et internet, il serait du côté des utopistes un peu naïfs ou des catastrophistes anti-techno. « Il y a ceux qui y voient l’enfer et ceux qui y voient le paradis, où vous situez-vous ? » Maurice G. Dantec répond : « Au purgatoire. »

    Mesure des Grecs, démesure de l’Europe

    Au fond, l’erreur de l’antimoderne c’est d’avaliser l’équation de la philosophie des Lumières, qui consiste à établir une fausse corrélation entre progrès moral et progrès scientifique et technique. Croyant à cette corrélation et par rejet, répulsion, il récuse tout aussi bien les progrès techniques bien réels et ce qui tient lieu de progrès moraux, dans lesquels ils voient, souvent à juste titre, un pur camouflage de la décadence égalitariste. Contre cette équation, à rebours de cette identification, nous devrions repenser à nouveau frais la question de la technique sans lui associer tout le baratin progressiste qui l’a escortée jusqu’ici.

    L’infini est parfois une notion qui a mauvaise presse, dans nos parages. Dominique Venner fustigeait la « métaphysique de l’illimité », ce qui n’est, certes, pas tout à fait la même chose. Maurras, plus sévère, dans sa préface du Chemin de Paradis de mai 1894, adressée à Frédéric Amouretti, écrit : « Il n’est point contestable qu’il existe sous le nom de pensée moderne un amas de doctrines si corrompues que leur odeur dégoûte presque de penser. […] J’ai surtout horreur ces derniers allemands. L’Infini ! Rien que ces sons absurdes et ces formes honteuses devraient induire à rétablir la belle notion du fini. Elle est bien la seule sensée. Quel Grec l’a dit ? La divinité est un nombre ; tout est nombré et terminé. » Et Boutang, de commenter dans son monumental Maurras, la destinée et l’œuvre : « En vain criait-il contre l’infini à l’allemande, le mauvais infini. L’infini l’habitait, lui jouerait des tours jusqu’à la fin – et la prière de la fin – (Maurras, mal rassasié, lui disait Mistral) calembour métaphysique qui répond à celui d’Eschyle sur son héros, Ulysse, Ulysse éponyme des douleurs. »

    Et, pour finir, évoquons cette grande plume de la littérature française, Paul Claudel, qui dans sa Poétique, compose un poème en prose métaphysique, dans la lignée de Poe avec Eurêka, en congédiant la notion d’infini de sa cosmologie. Retour à l’antique, en somme, où l’infini devient synonyme d’indéfini, voire pire, de démesure. Ainsi, le premier à avoir tenté de penser l’être dans sa dimension métaphysique et cosmologique, Parménide d’Élée, concevait l’Être comme une sphère finie, « une balle ronde ». L’univers, en s’étendant sans limites, commettrait finalement une faute morale, au regard de la philosophie héritée des Grecs.

    Cette distinction entre l’esprit grec et l’esprit européen, qui se développe sur le même axe que l’opposition entre le fini et l’infini, la limite et l’illimité, Albert Camus en donne un résumé saisissant dans son texte L’Exil d’Hélène : « La pensée grecque s’est toujours retranchée sur l’idée de limite. […] Notre Europe, au contraire, lancée à la conquête de la totalité, est fille de la démesure. »

    Des crises et des révolutions

    Nietzsche, dans L’Antéchrist, qualifie l’aboutissement du nihilisme européen de bouddhisme européen, une sorte de quiétisme aspirant à l’ataraxie, au nirvana. La société prospère et pépère des Trente Glorieuses, le plein emploi, le consumérisme, l’abandon de l’Algérie française et de l’Armée, dernier bastion des valeurs chevaleresques et aristocratiques, a bien failli accoucher de cette société en état de léthargie heureuse. Et il n’est pas rare de constater la présence d’un petit Bouddha en porcelaine dans le salon de monsieur Tout-le-monde. Tout indique, à rebours de ces espérances amniotiques, le retour du tragique dans l’Histoire, le retour des peuples européens, saisis par une inquiétude, une angoisse proprement existentielle.

    Pour conclure, je me permets cette longue citation – il n’y a pas un mot à retrancher – de Jean-François Mattéi, qui écrit dans Le Regard vide : « Je considère l’Europe, cette figure unique de l’inquiétude dans le courant des civilisations, comme une âme à jamais insatisfaite dans la quête de son héritage et le besoin de dépassement. En dépit des renaissances, son rythme naturel est celui des crises et des révolutions, qu’elles soient religieuses, avec l’instauration du christianisme dans le monde romain, politiques, avec l’invention de l’État moderne, sociales, avec l’avènement de la démocratie, économiques, avec la domination du capitalisme, mais aussi philosophiques, avec la découverte de la rationalité, scientifiques, avec le règne de l’objectivité, techniques, avec la maîtrise de l’énergie, artistiques, avec le primat de la représentation, et finalement humaines, avec l’universalisation de la subjectivité. Ces ruptures qui forment la trame continue de son histoire, ces créations et ces destructions qui stérilisent son passé et fertilisent son avenir, ces conquêtes de soi et ces renoncements qui sont l’envers de l’oubli et de la domination de la nature, tous ces facteurs indissolublement liés ont contribué à faire de la crise, et donc de la critique, le principe moteur de l’Europe. On comprend que le choc de la Première Guerre mondiale, en rappelant à l’Europe le destin de mort des civilisations, lui ait enlevé l’espoir de ses vieilles certitudes et laissé le regret de ses anciens parapets. »

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Civilisation en phase terminale ?...

    Le numéro 76 du mensuel conservateur L'Incorrect est en kiosque. On peut notamment découvrir à l'intérieur un dossier central consacré à l'euthanasie, des entretiens avec Hervé Juvin et David Engels, ainsi que les rubriques habituelles "L'époque", "Politique", "Monde", "Idées", "Culture", et "La fabrique du fabo"...

    Le sommaire complet est disponible ici.

    Incorrect 76.jpg

     

     

     

    Lien permanent Catégories : Revues et journaux 0 commentaire Pin it!
  • David Engels : « Le retour à l'État-nation ne sauvera pas l'Europe en tant que civilisation »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par David Engels à Figaro Vox et consacré à sa vision d'une Europe hespérialiste.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013), Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019) et, dernièrement, Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'hespérialisme (Salvator, 2024). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

    David Engels_Europe.jpg

     

    David Engels : « Le retour à l'État-nation ne sauvera pas l'Europe en tant que civilisation »

    FIGAROVOX. - Vous refusez l'opposition entre une droite qui défend les traditions et la souveraineté, et une gauche qui défendrait l'eurofédéralisme dans une perspective mondialiste et désincarnée. Comme alternative, vous proposez l'hespérialisme. Comment définissez-vous cette idée ?

    David ENGELS. - J'utilise ce mot, tiré du grec Hespéros (pour «Occident»), pour désigner un patriotisme européen fondé sur l'amour de notre longue histoire, de notre spiritualité et de nos traditions. Car d'un côté, je refuse l'«européisme» basé uniquement sur l'universalisme des droits de l'homme tel que l'Union européenne le promeut tout en l'instrumentalisant de plus en plus au profit de la gauche politique. Mais je refuse aussi le souverainisme qui risque de faire éclater le continent et ne pas ramener la liberté, mais plutôt la soumission aux influences extra-européennes. J'ai donc créé le néologisme «Hespérialisme» afin d'évoquer l'envie typiquement européenne de tendre vers l'inconnu, vers les Hespérides, Avalon, Utopia… Certes, les États-Unis, l'Australie ou encore l'Afrique du Sud sont des pays également issus de la civilisation européenne. Mais si nous cherchons un terrain opérationnel pour donner corps à une Europe du futur prête à assumer son rôle stratégique sur la scène mondiale, il vaut mieux éviter l'«occidentalisme» et se concentrer sur le Vieux Continent.

    Comment définissez-vous la civilisation européenne ?

    Contrairement à d'autres, je ne la définis ni uniquement par les droits de l'homme, ni par son histoire, mais surtout par sa mentalité. Certes, il faut prendre en compte nos racines : l'Ancien Testament, la philosophie grecque, le droit romain, le christianisme primitif, les traditions des Celtes, Germains et Slaves... Mais pour moi, le vrai début de la civilisation européenne concorde avec l'avènement de Charlemagne qui restitue l'idée impériale, réorganise le christianisme occidental et unifie l'Europe de l'Espagne à la Pologne et du Danemark à l'Italie. C'est là aussi qu'émerge le véritable noyau d'une identité européenne qui serait plus que la somme des différentes strates de notre passé et distingue les Européens des autres civilisations : l'élan faustien. Dans le mythe de Faust, un savant désespéré de connaître tous les secrets de l'univers vend finalement son âme au Diable, mais est sauvé in extremis, du moins dans la version de Goethe, par la charité et le repentir – voilà l'archétype de l'Européen. L'élan faustien domine toute notre civilisation, d'abord dans notre quête de transcendance (pensons aux immenses cathédrales, à la mystique ou à la spiritualité monastique), ensuite dans notre désir de maîtrise matérielle (les grandes découvertes, la technologie, l'impérialisme, le socialisme etc.) – une démesure qui nous a mené graduellement de Dieu vers l'homme, de l'être vers l'avoir et de l'intériorité vers l'expansion, et qui a créé notre monde moderne où l'ultime extrême de cette évolution semble désormais atteint...

    Quels sont d'après vous les symptômes du déclin de l'Europe ?

    Tout d'abord, la plupart de ces symptômes ne datent pas seulement d'il y a de quelques années, mais remontent souvent bien loin dans notre passé : déchristianisation, déclin démographique, immigration, saccage de la nature, crise de la démocratie, perte d'identité culturelle, hédonisme, polarisation économique… Partout où l'on regarde, tout ce qui nous semblait une évidence depuis des siècles est déconstruit, remis en question, et l'on voit émerger à la place un monde atomisé, découpé de la transcendance, de la tradition et de l'histoire, qui flotte dans le vide d'un matérialisme froid et abstrait et qui déshumanise sous prétexte de «libérer» l'homme…

    Comment est-il possible d'y remédier ?

    En tant qu'adepte du comparatisme entre les civilisations, je suis assez déterministe et crois aux grands cycles civilisationnels. Chaque civilisation poursuit d'abord la transcendance, puis la matérialité ; une fois tout son potentiel épuisé, elle entre dans une phase finale de synthèse. Celle-ci est bien plus qu'un simple compromis entre la thèse et l'antithèse, mais résout le conflit à un niveau supérieur et clôt dès lors le débat ; c'est ensuite que la civilisation, épuisée, commence à se pétrifier et faire place à une autre. Or, la synthèse entre la tradition et la raison, c'est le retour conscient à la tradition, et je crois que c'est justement à cette tendance que nous assistons aujourd'hui. En effet, notre croyance aveugle en la raison et en l'homme en tant que mesure de toutes choses nous a mené graduellement au relativisme, puis au nihilisme et finalement aux absurdités du wokisme ; et les Européens commencent à s'en rendre compte et à chercher des alternatives. Tôt ou tard, comme les hommes de toutes les autres grandes civilisations, nous retrouverons donc la tradition et, tout en opérant un choix conscient parmi les richesses de notre passé, entrerons dans le stade final de notre trajectoire, correspondant à peu près à l'époque augustéenne de l'Antiquité, l'époque des Han en Chine, des Gupta en Inde etc. Ce sera, certes, la fin, mais aussi l'accomplissement de notre civilisation – un stade non moins important que son début, car ce sera à nous de déterminer la forme finale de notre civilisation pour les siècles à venir et de définir l'héritage qu'elle léguera au futur.

    Quelques semaines avant les prochaines élections, que peut-on espérer des institutions européennes ?

    L'UE est devenue de plus en plus puissante et l'on peut le déplorer à raison. Mais les États nations européens au XXIe siècle, à l'âge des grands empires et de la mondialisation, n'ont de toute manière plus que très peu d'influence et, comme l'a montré le Brexit, la sortie de l'UE à elle seule ne résout à peu près aucun de nos problèmes, alors qu'une dissolution de toute la communauté mènerait inexorablement à une transformation du continent en échiquier des intérêts des puissances extra-européennes. Nous sommes donc condamnés à travailler ensemble. Le problème principal de l'UE, c'est qu'elle soit impuissante vers l'extérieur et échoue à défendre les intérêts vitaux de notre civilisation, alors que vers l'intérieur, elle se montre de plus en plus coercitive. Il faudrait retourner cette situation et renforcer l'UE vers l'extérieur tout en rétablissant un maximum de subsidiarité vers l'intérieur. Pourquoi ne pas s'inspirer du Saint-Empire Romain qui, pendant plus d'un demi-millénaire, a défendu ses intérêts géopolitiques de manière assez efficace tout en garantissant l'autonomie des nombreuses entités politiques européennes qui la constituaient – de Gaule en Slavonie et de la Scandinavie en Italie ? Mais certes, sans la résurgence d'un vrai patriotisme «hespérialiste», la meilleure réforme institutionnelle devra rester lettre morte, ce pourquoi la bataille culturelle doit rester notre tâche essentielle dans les années à venir.

    David Engels, propos recueillis par Robin Nitot (Figaro Vox, 23 mai 2024)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • L'Europe faustienne...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par David Engels à Jérôme Besnard sur Omerta pour évoquer avec lui son dernier essai Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'héspérialisme (Salvator, 2024).

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et, dernièrement, Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

     

                                               

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Défendre l'Europe civilisationnelle...

    Les éditions Salvator viennent de publier un nouvel essai de David Engels intitulé Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'hespérialisme.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan après avoir été professeur à l'Université libre de Bruxelles, David Engels est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et, dernièrement, Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

    Engels_Défendre l'Europe civilisationnelle.jpg

    " Malgré la remise en cause de ses élites, l'Union européenne continue de recueillir l'assentiment de ses populations, attachées non seulement à l'espace de liberté et d'échanges qu'elle représente, mais aussi à l'idée civilisationnelle qu'elle recouvre. Mais cette adhésion gagnerait à être délivrée des aberrations du wokisme et mise au service des intérêts des Européens et de leur puissance dans un monde toujours plus hostile. Guidé par sa lecture historique de la crise de la République romaine et aussi de la lente émergence de l'Occident médiéval, David Engels définit ce qu'est l'Europe et propose une voie nouvelle : l'hespérialisme. En renouant avec ses racines spirituelles, en assumant son passé et en affirmant son identité, l'Europe-civilisation peut devenir une force de protection des cultures riches et millénaires qu'elle abrite, et reprendre son rôle primordial dans la marche de l'histoire. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Défendre l'Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le site d'Academia Christiana et consacré à un plaidoyer en faveur de l'unification européenne, troisième voie entre le progressisme eurofédéraliste et le souverainisme régressif.

     

    Europe-patrimoine.jpg

    Défendre l'Europe

    L'Europe est depuis longtemps divisée entre une gauche eurofédéraliste et une droite souverainiste qui prennent en tenaille les dernières chances de survie de notre civilisation : la première parce qu'elle veut remplacer l'identité culturelle traditionnelle de l'Europe par un mondialisme désincarné, matérialiste et hédoniste ; la seconde parce que le retour à une trentaine d'États-nations risque de transformer le continent en échiquier des intérêts impériaux des autres grandes puissances du nouveau monde multipolaire. Il est grand temps pour les défenseurs de la véritable tradition européenne d'emprunter résolument la troisième voie de l'engagement patriotique pour une unification européenne qui ne repose pas sur la lutte contre les identités et les traditions, mais plutôt sur leur défense et leur prolongement : l'hespérialisme.

    Les élections européennes de 2024 pourraient être un moment décisif à cet égard : d'une part, une victoire des eurofédéralistes pourrait abolir les vetos nationaux et porter un coup décisif à la subsidiarité ; d'autre part, la droite sceptique de l'UE semble plus que jamais divisée sur ses choix idéologiques : christianisme ou sécularisme, européisme ou souverainisme, solidarité ou libertarisme.

    Réorientation politique générale

    Je propose donc pour ma part une réorientation politique générale, dans une perspective non pas nationale, mais résolument civilisationnelle. Car bien avant d'être divisée en Etats, l'Europe était déjà une unité politique, culturelle et surtout spirituelle, et les nations n'ont fait qu'exprimer (et parfois exacerber) des facettes choisies de cette unité. Cette unité culturelle sous-jacente est aujourd'hui plus que jamais menacée, tant de l'intérieur que de l'extérieur, et si nous voulons sauver ses composantes nationales, nous devons commencer par sauver l'ensemble du cadre de référence qui la définit et la garantit. Il est donc grand temps pour les défenseurs de notre identité et de nos traditions d'élargir leur horizon politique de la lutte pour l'autonomie de l'État-nation à la lutte pour la survie de notre civilisation tout entière.

    Bien sûr, il s'agit dans une certaine mesure d'une "idée régulatrice" qu'il faut sans cesse adapter aux conditions réelles, qu'elles soient culturelles, politiques, économiques ou nationales. Néanmoins, je suis fermement convaincu que nous avons besoin de l'étoile directrice du patriotisme européen pour guider les différents choix à venir. Ce patriotisme comporte bien sûr une composante spirituelle, comme nous le verrons, car si la séparation de l'Église et de l'État a toujours fait partie intégrante de notre culture européenne, elle n'implique en aucun cas une séparation de la foi et de la politique, bien au contraire : le véritable hespérialisme ne consiste pas à glorifier sans distinction tout et n'importe quoi, pourvu que cela soit recouvert d'une rouille historique suffisante, mais plutôt à examiner soigneusement les différentes strates de notre identité, en ne considérant comme réellement admirables et dignes d'être imitées que celles qui ont été placées sous l'étoile directrice d'une aspiration sincère à rattacher l'existence terrestre à la transcendance.

    Mais avant d'approfondir ce sujet, revenons sur cette "grande confusion" systématique de l'identité européenne qui, sous couvert de "déconstruction critique", a fomenté une terrible calamité qui, même dans le meilleur des cas, continuera de peser sur notre civilisation pendant de nombreuses décennies. La pensée critique n'est pas en soi une nouveauté dans l'histoire occidentale ; déjà au Moyen-Âge, prétendument "obscur", la "disputatio" comptait parmi les principales techniques d'acquisition du savoir de l'"universitas" et n'était pas non plus, et surtout pas, empêchée par l'Église, mais plutôt encouragée. Toutefois, ce processus de pensée se déroulait sous le postulat fondamental de l'existence de l'Un, du Vrai, du Bien et du Beau, tel qu'il nous a été révélé en Europe par le christianisme ; la déchristianisation des "Lumières", dont les racines remontent certes loin dans le passé, est en revanche marquée par une déconstruction progressive de ce postulat fondamental, d'abord vidé de son contenu dogmatique, puis également de son contenu ontologique, de sorte que l'examen critique et constructif n'est plus que relativisme et finalement nihilisme.

    Bien sûr, pendant un certain temps, l'accumulation purement empirique de connaissances scientifiques descriptives sur les faits et les techniques d'application a progressé, mais là aussi, ces dernières années, nous avons vu de manière significative non seulement une stagnation progressive, mais aussi les multiples effets du nihilisme philosophique.

    Au cours du dernier demi-millénaire, nous avons assisté à la destruction totale du sens de la transcendance, à la déconstruction du christianisme de l'extérieur comme de l'intérieur, à l'introduction massive d'une religion étrangère en Europe, à l’expension inquiétante de diverses formes d'ésotérisme et à la promotion de l'athéisme, du matérialisme et de l'hédonisme comme formes normales de l'existence humaine.  Dans le cadre de cette autodestruction idéologique, l'homme a également perdu sa dignité : d'abord mis à la place de Dieu en tant que prétendue "mesure de toute chose", l'envolée de l'auto-élevation a rapidement été suivie d'une chute brutale dans les formes les plus diverses de collectivisme et de déshumanisation, qui connaissent actuellement une triste apogée dans les théories trans- et posthumanistes les plus diverses. Il en a été de même pour la famille, la nation, l'idée de démocratie participative, la tradition, la beauté, l'économie et même la nature : partout, les communautés solidaires qui s'étaient développées au cours de l'histoire, ancrées dans le droit naturel et intimement liées aux enseignements de la Révélation, ont été volontairement détruites et remplacées d'abord par des ersatz rationalistes, puis par le seul nihilisme pur et simple, jusqu'à ce qu'il ne reste presque plus rien de ce qui avait défini l'Europe pendant des siècles.

    Notre identité européenne

    Afin d'asseoir le contre-projet d'une vaste reconstruction culturelle sur des bases historiques solides, nous devons tenter de démêler les différentes strates chronologiques de notre identité européenne, afin d'apprendre à séparer l'important de l'insignifiant, la racine du tronc, l'action de la réaction. Ainsi, nous devons tout d'abord constater que le Proche-Orient ancien, y compris la sphère de l'Ancien Testament, la Grèce antique, le monde méditerranéen romain, les traditions des Celtes, des Germains et des Slaves et, bien sûr, le christianisme primitif, encore entièrement marqué par l'hellénisme levantin, ne doivent être considérés que comme des précurseurs et non comme le noyau du cycle culturel occidental : ce n'est que par leur fusion au cours de ce que l'on appelle les "siècles obscurs" que s'est formée cette nouvelle culture qui débute spirituellement avec le concile d'Aix-la-Chapelle, politiquement avec la "Renovatio" de l'idée d'empire par Charlemagne et culturellement avec la Renaissance carolingienne, et qui se caractérise psychologiquement avant tout par cette fameuse pulsion "faustienne", qui nous distingue si fondamentalement du sentiment apollinien de l'homme antique, du patriarcalisme fataliste de la culture orientale, de la doctrine de la renaissance des Indiens ou de la piété xiaoïste des anciens Chinois.

    Dans une première phase, cette nouvelle culture était encore entièrement sous l'influence de l'idée d'unité métaphysique marquée par le christianisme occidental, qui a ensuite été remplacée dialectiquement par le déplacement de l'accent sur la multiplicité à partir du 16ème siècle : Dieu a été remplacé par l'homme, la foi par le doute, la contemplation par l'expansion, la théologie par la technologie, la morale par le machiavélisme, le "Sacrum Imperium" par les premiers États-nations, la culture par la civilisation, etc. Il ne fait aucun doute qu'en ce début de XXIe siècle, nous sommes arrivés au sommet - ou devrais-je plutôt dire au creux - de cette évolution, et la morphologie culturelle comparée suggère que l'achèvement de la déconstruction ne correspond pas (encore) à la fin de notre civilisation, mais qu'il faut s'attendre à une dernière et brève synthèse, que l'on ne peut pas appeler autrement qu'un retour conscient à la tradition, comme nous l'avons vu dans l'Antiquité sous le premier Empire romain, en Chine sous la dynastie Han, en Iran sous le règne de Chosroes I. ou en Inde sous les Gupta.

    Retour conscient à la tradition

    Mais que faut-il entendre par un tel "retour conscient à la tradition", qui, comme toutes les synthèses, semble d'abord être une sorte de contradiction interne en soi, puisqu'une tradition, si on la renouvelle consciemment et rationnellement après une rupture, n'est plus vraiment une tradition, même si un deuxième regard révèle qu'il ne s'agit pas en fait d'un retour naïf, mais d'une transcendance consciente de la situation de départ ? Il est évident qu'une telle synthèse doit partir du constat que l'hubris de la phrase "homo mensura", à laquelle toute civilisation est encore vouée, ne peut conduire qu'à l'éclatement de l'autodestruction, d'où découle logiquement le besoin spirituel d'une redécouverte de la transcendance, qui cette fois-ci n'est pas seulement ressentie instinctivement, mais également recherchée rationnellement. A cette fin, la société entière doit être placée à nouveau sous la primauté de l'unité et de l'au-delà, et ce sous la seule forme qui nous soit familière, possible et reconnue en tant qu'Européens, à savoir la tradition chrétienne.

    Il n'est pas du ressort d'un gouvernement de pousser les gens à la foi à l'aide de textes de loi, mais bien de laisser ses propres convictions intellectuelles et spirituelles s'intégrer dans les actions de l'État, dans le cadre des prescriptions formelles. Si l'on considère par exemple l'omniprésence actuelle de la diffamation non seulement de la foi chrétienne, mais aussi de toute forme de croyance en la transcendance par les médias, les établissements d'enseignement et les institutions politiques, il est clair que notre élite actuelle, avec sa prétendue "laïcité", a plutôt pour objectif clair d'empêcher autant que possible les gens d'accéder à Dieu sous le couvert du sécularisme. Il s'ensuit que l'objectif d'une nouvelle élite hespérialiste est plutôt d'ouvrir à nouveau largement cette voie, dont la fréquentation ne peut bien sûr être qu'individuelle, et de la rappeler à la conscience publique comme une possibilité et non comme une contrainte. Mais toutes les autres conséquences en découlent également : la restauration de la dignité humaine de la conception à la mort ; la sanctification de la famille naturelle, le rétablissement de la subsidiarité dans le cadre d'un nouvel ordre spatial européen, la restitution de la fierté de notre histoire, l'engagement explicite en faveur du vrai, du bien et du beau, la lutte pour une vie économique à proportions humaines et le respect de la magnificence de la création, et ce non pas dans le sens d'un panthéisme écolo-gauchiste, mais d’un théâtre où se joue la lutte de l'homme et de la société pour leur âme.

    Or, malheureusement, tous les idéaux doivent être réalisés dans un monde dont les nombreuses contraintes les obligent à des compromis et des ajustements qui sont loin d'être optimaux, car ils doivent s'adapter aux réalités politiques, économiques, spirituelles et culturelles concrètes qui constituent le contexte global de nos efforts. En effet, même avec la meilleure volonté du monde et dans des conditions politiques favorables, il ne suffira pas de modifier tel ou tel texte de loi à Bruxelles ou à Paris : c'est toute une civilisation en voie de désintégration volontaire qui doit être protégée de ses tendances à la dissolution et ramenée à la raison - et à la transcendance.

    Parmi les contraintes extérieures, on peut citer : les dangers de la multipolarité pour une Europe en déclin ; les défis de la migration de masse ; le risque d'un Etat de surveillance avec un système de crédit social et une urgence pandémique ; la dépossession des politiques nationales par les institutions internationales et le réseau mondialiste ; la destruction des classes moyennes par le socialisme des milliardaires ; la crise de la foi et des églises ; et enfin, et ce n'est pas le moins important, l'épuisement naturel de notre civilisation vieillissante.

    Aux XVIIIe et XIXe siècles, l'homme européen a pu se reposer sur sa supériorité technologique par rapport au reste du monde ; au XXe siècle, les hégémonies de la guerre froide ont pris le relais pour s'occuper de lui. L'effondrement de l'hégémonie américaine renvoie l'Européen à l'histoire, même si c'est à un moment où il semble le moins apte à en relever les défis, de sorte que la seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir s'il veut continuer à subir sans broncher les mesures palliatives actuelles afin de supporter le moins douloureusement possible la descente aux enfers, ou s'il veut au contraire oser prononcer à nouveau un "oui" courageux à l’adresse de Dieu, de l'histoire et de notre responsabilité – et entreprendre les nombreuses réformes douloureuses et urgemment nécessaires à la survie de notre société.

    Quelles sont donc les conséquences pour l'avenir proche ?

    Il n'est pas question dans ces brèves réflexions de donner une analyse détaillée des prochaines élections européennes et autres, ni de tenter de prévoir les événements du futur immédiat, ni même de résumer les projets alternatifs que j'ai présentés en détail ailleurs. Il semble toutefois évident que nous allons tous devoir mener une lutte acharnée en Europe, car il est clair que les libéraux de gauche iront jusqu'au bout pour conserver leur pouvoir et leur influence sur la société - si ce n'est par la persuasion, du moins par l'intimidation.

    Les récents événements en Pologne en sont un exemple typique : depuis des années, un pays entier a été mis à mal, tant économiquement que mentalement, par le harcèlement médiatique, les sanctions et la diffamation, tandis qu'en coulisses, un gouvernement multipartite était forgé pour s'emparer du pouvoir au moment critique et, si nécessaire, créer un nouveau statu quo par la force.

    Les élections européennes vont très probablement entraîner un certain renforcement du camp conservateur, non seulement en Pologne mais aussi dans toute l'Europe. Mais elles obligeront les progressistes à renforcer également au niveau de l'UE leur idéologie du "cordon sanitaire", provoquant ainsi une résurgence (in)volontaire de la doctrine des "partis-blocs" telle qu'on la connaissait en RDA : tous les partis qui soutiennent le "système" actuel s'allieraient durablement entre eux sous la direction idéologique de l’écolo-gauchisme comme étant la force la plus progressiste, afin de "sauver" (soi-disant) la démocratie et d'empêcher un nouveau "fascisme". Il est bien sûr tout aussi évident qu'une telle lutte contre un autoritarisme de droite imaginaire par un autoritarisme de gauche bien réel doit tôt ou tard chavirer sous le poids de ses propres contradictions et conduire à la catastrophe, tout comme, théologiquement parlant, une victoire à long terme du "mal", c'est-à-dire de l'hubris du "non serviam" diabolique, est impossible, puisque ce principe ne peut justement que toujours conduire à la dissolution, et doit même y conduire en raison de ses hypothèses ontologiques fondamentales.

    Bien sûr, cela ne peut nous rassurer que très modérément, car même si la victoire ultime du bien dans le monde extérieur est tout aussi prédestinée que le repos en Dieu nous est accessible à tout moment, même à l'intérieur, les deux nécessitent une lutte acharnée, qui doit être menée avec une intensité jusqu'ici insoupçonnée, en particulier dans les années à venir. Comme nous l'avons souvent dit, nous devons nous engager sur plusieurs voies et ne jamais perdre de vue l'objectif final : dans le domaine politique, argumenter avec persévérance et sans compromis sur la base de nos propres convictions et, dans la mesure du possible, agir ; dans le domaine social, construire partout dès aujourd'hui les communautés et les structures exemplaires sans lesquelles toute résistance au mal ne peut que s'effondrer ; et au fond de nous-mêmes, ne jamais perdre de vue que le véritable combat est celui de notre âme et qu'aucun défi politique ne peut nous dispenser de l'obligation d'établir et de maintenir la proximité de Dieu d'abord en nous-mêmes.

    David Engels (Academia Christiana, 19 février 2024)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!